Verbier, dimanche 25 août. 6H30. Il fait encore sombre et frais et pourtant les rues de la station alpine grouillent de machines et de gars casqués. La guerre, des manoeuvres, la fin du bal des pompiers ? Non ! Juste 1500 fous furieux qui défient la montagne, la physique et le bon sens commun pour aller sur des bikes 131 km plus loin !
Sur la ligne de départ c’est déjà la cohue. Une grappe humaine, des M? de vélo, un troupeau de mollets nus (mais trés peu de velus). J’y suis, en plein, acteur après des années d’attente, d’envie et d’interrogation. Au coeur du mythe, dans son histoire. Mentalement je revois les photos sur papier glacé que j’ai pu admirer ; je me récite le tracé et ses noms si souvent évoqués : Verbier, Croix de Coeur, Evolène, Hérémence, Pas de Lona, Grimentz. Aujourd’hui je mettrai des images sur ces lieux, des souffrances sur ces sons, des souvenirs sur ces mots .. Sous les visages sereins de mes compagnons de galère, j’imagine la même inquiétude que celle qui fait turbiner mon cerveau à plein : les jambes vont elles tenir, quel rythme adopter, le temps restera t’il sec, comment s’alimenter ?
Départ ! Le Zeppelin du journal local survole les élites, qui, premiers partis, sont presques déjà arrivés, tandis que dans la nasse, j’attends patiemment de pouvoir m’élancer. 12 minutes plus tard et me voici en route ; si tout va bien j’en ai pour une dizaine d’heures (voire plus), 5 cols et 131 km … Les chiffres font peur : n’y pensons plus, il faut pédaler !
Première côte sous les « Hop Hop Hop ! » d’encouragement (le « Allez ! » local). Sourire. Plaisir d’y être, d’être encouragé, d’être actif, d’arrêter de gamberger. Gérer, rouler cool, ne pas se mettre dans le rouge. Première inquiétude : je me traîne ! Je me fais passer par tout le monde et en haut du col, 45 minutes plus tard, je suis dans les 100 derniers. Aïe ! Ou sont passées mes certitudes, mes heures d’entraînement ? Première descente et second constat : autant le participant moyen monte bien, autant il descend mal ! Je double et redouble sur les lacets de cette piste engravillonée où mon compteur tutoie les 65 km/h ! Ca va mieux !
Il en sera ainsi durant 5 cols, 9H00, 111 km et 4000 de dénivellé positif. Une succession de côtes interminables (dont une de 22 km) où je me fais doubler, de descentes rapides, où je double a mon tour, et de quelques rares singles, la plupart piégés par des routeux statiques que toute pierre effraie. Et puis des paysages d’une beauté divine, des ravitaillos riches en protéïne et des bénévoles d’une gentillesse valaisine. Magie du Cristalp où dans chaque hameau, chaque chemin, chaque sentier, un « Hop Hop Hop » sincère donne du beaume au coeur, chaque pépé, chaque mémé, a un sourire de complicité. Ces gens sont bons et grands. Les montagnes ont déteint sur eux. J’arriverai hors délai à l’avant dernier col : un quart d’heure ! Une paille, un epsilon. Le détail qui fait chavirer l’histoire. Mon histoire. Une crevaison de trop, trop d’arrêt ravito et un rythme trop lent : dure loi que celle du temps ! Forcé-contraint mon périple s’achève dans les alpages, au lieu dit « La Vieille ». Clin d’oeil ou destin c’est un lieu merveilleux. Beau, sauvage, majestueux. Au dessus de moi, au delà de la rubalise qui marque ma dernière étape, le Pas de Lona et sa pente terrible. On y devine les chanceux pilotes qui l’affrontent en poussant leur vélo : eux verront l’arrivée ….
Redescente vers la navette de retour avec d’autres compagnons d’infortune (dont Ronan ex du NG). Le Cristalp est fini, il a gagné et au delà des regrets j’en veux à ses pistes trop larges, ses descentes trop rapides. Parcours de routard, pas fait pour moi… Je ne reviendrai pas ! C’est sûr ! Trop roulant, trop rasoir, trop dur ! Comme les autres je jure de ne plus revenir : « plus jamais … »
Cette nuit, pourtant, j’ai rêvé du sourire des valaisans, des paysages traversés, des « Hop Hop Hop ! » et des cols du Valais. J’ai rêvé du Pas de Lona, de ligne d’arrivée, de ces quelques kilomètres qui manquaient et me narguent. Le mythe du Cristalp est bien écorché mais il m’a accroché ! Souffrir pour te vaincre ou souffrir de t’éviter, Cristalp, en 2003, je saurai te dompter !