Le craquement sec de la terre gelée sous nos crampons emplissait l’air glacé de ce dimanche d’hiver. Autour, le silence. Telle une horde au coeur des steppes de Sibérie, nous suivions notre guide à travers les pistes et chemins qui zèbrent ces landes. Je m’imaginais dans les récits de mon enfance, tel Tarass Boulba ou Michel Strogoff, pêchant le saumon, chassant le grand Orignal, fuyant un ennemi lancé à nos trousses. Depuis des jours il nous poursuivait, nos seuls espoirs résidant dans la fuite. Une côte. Garder le rythme, relancer pour rester accroché, ne pas devenir une cible isolée. Mes poumons brûlent.
Un bruit derrière moi, une branche en travers. Hop ! Sauter par dessus, se féliciter du comportement de sa monture. Merci Merlin, mon fier destrier. Descente raide et sablonneuse : cul en arrière, regard sur la trace. Freiner, relâcher, freiner, relâcher.
Pif-paf, grimpette sévère. Derrière, la horde barbare se rapproche : je l’entends bien, maintenant. Sur le bec de selle, gros pignon, je mouline et mon coeur s’emballe. Vite ! du braquet, pour attaquer ce faux plat… Le sol est marqué par des traces de sabots que le froid a gelé. Sans doute une autre tribu.
Soudain un cri devant moi : « Putaing, j’ai crevé !». Rêve brisé, retour à la réalité. Je quitte à regret la Sibérie, mon cheval et mes ennemis. Je reconnais les bois, à 5 minutes de la nationale et 500 mètres du club hippique, mes pôtes emmitouflés dans leurs fringues Cannondale. Mon destrier n’hénira pas, qui a déjà vu un VTT s’ébrouer ? Sous la forme de deux quidams essouflés, la tribu ennemie nous rejoint. Echange poli de bonjours. Regard amusé vers mes amis : dans quel rêve étaient-ils, eux ?
La rando reprend, le réveil est aisé. Plaisir de rouler, aussi, en pleine réalité.