« Blanc » est un qualificatif dont on a un peu tendance à oublier la signification depuis la mainmise régulière de ces « hivers indiens » sur la météo européenne en général, et alpine, en particulier.
Mais « Blanc », c’est aussi le titre du dernier livre de Sylvain Tesson. Un livre qui retrace la traversée des Alpes, à ski, de Menton à Duino, près de Trieste, durant 85 jours, répartis sur quatre hivers successifs, de 2018 à 2021.
Devenus moins rares, les ouvrages du célèbre écrivain-voyageur parisien paraissent désormais, judicieusement, chaque automne, à l’approche des fêtes de fin d’années. Accompagnés d’un battage promotionnel étonnant, les opus de Sylvain Tesson se succèdent et quittent, un peu plus chaque année, le semi-anonymat des émissions littéraires de fin de soirée pour accéder au faste des plateaux des 20 heures des grands médias « mainstream ». Une reconnaissance médiatique d’autant plus inédite que son auteur aurait très bien pu ne jamais la connaitre, laissé pour mort, ce 20 août 2014, sur le pavé chamoniard, 10 mètres en-dessous de la toiture qu’il tentait d’escalader, pas forcément avec « modération ».
Le talent d’un de mes auteurs favoris au service d’un livre consacré à l’une de mes passions, ça ne pouvait forcément que « matcher » ?
Alors oui, Sylvain Tesson n’a rien perdu de sa science de la formule. Courte, ciselée, pertinente.
« Définition de la trace : enlever le plus de dénivelé avec le moins d’effort, éviter les zones fragiles, tenir pour arriver. »
« Ni l’énergie, ni la force, ni la santé (ni « le matos ») ne constituent les armes du skieur au long cours. Seules les heures viennent à bout de l’espace. »
« La moindre course de montagne dissout le temps, dilate l’espace, refoule l’esprit au fond de soi »
Oui, les descriptions de Sylvain Tesson s’avèrent toujours si imaginatives qu’on a l’impression de se fondre dans les lieux ou les actions qu’elles campent.
« Les skis crépitaient dans le petit matin. Selon les températures, leur chant produit une sifflante, un chuintement, un raclement – un sanglot même, si la neige s’amollit. »
« On devait arracher les virages, éviter les troncs, la guillotine des branches, le piège des racines. »
« Il y aurait la sueur, le silence et la trace. »
Oui, la poésie reste encore et toujours un art majeur de l’œuvre de Sylvain Tesson.
« Le Blanc absout tout. Conversion dans la pente, rémission des péchés. »
« Le voyage deviendrait un déplacement dépourvu de finalité, suspendu dans le monochrome. »
« Le jour parut. Ce fut d’abord une ligne jaune qui s’élargit, fit levier sur le ciel, l’ouvrit comme une coquille. La lumière grise devint blanche, puis bleue. »
Oui, Sylvain Tesson sait de mieux en mieux redonner à la philosophie la place qu’elle aurait toujours dû avoir : logique et pleine de bon sens.
« Leçon de vie : ne pas tout savoir. La transparence est cet état, qui donnant à tout connaître, donne à tout redouter. »
« Quand la pente s’étirait, il suffisait de se rappeler que le monde est constitué de données spatiales finies et que la constance triomphera de la distance. »
En fait, seul le « rythme » de « Blanc » m’a, dans un premier temps, quelque peu déconcerté. Hachée, forcément chronologique, très (trop) journalistique, j’ai d’abord eu du mal à accrocher à cette prose un brin cartésienne. Et puis, les aventures quotidiennes de cet étonnant trio « skiant » ont commencé à « prendre ». Deux pages, parfois trois, rapidement préfacées par le kilométrage et le dénivelé, résument chaque journée. Souvent inspirés, toujours vite lus, les chapitres s’enchaînent, leur lecture métronomique comparable à une ascension à ski.
Des pas qui succèdent aux pas, des chroniques journalières, aux chroniques journalières.
Lentement mais irrésistiblement, le découpage de « Blanc » contribue à en cadencer sa lecture, comme les mètres de dénivelé gagné, une longue journée sur les skis.
Vous en voulez plus ? C’est par ici que ça se passe.