Dernier volet de notre trilogie frioulane le tour dans la zone des trois frontières (Italie, Autriche et Slovénie) débute dans la station de Tarvisio. Dès les premiers dénivelés nous découvrons que la partie n’est pas gagnée: le chemin forestier prévu du fond de la vallée à la crête marquant la frontière italo-autrichienne n’est qu’un dévaloir piégeux et très raide avec des pentes à 100% nécessitant un usage intensif des crampons à l’avant de nos chaussures. De rares répits nous permettent quelques remises en selle durant les deux heures de poussage, avant d’atteindre le nirvana: un panorama somptueux sur trois pays!
La chevauché autrichienne est un régal de chemins et de sentiers bien entretenus (et même interdits aux VTT!) malgré la signalisation inexistante. Nous sommes ici dans une région sauvage et reculée avec comme seuls signes visibles d’activité humaine un grand nombre de miradors de Nemrod. Il ne doit pas faire bon traîner ses crampons dans le coin en période de chasse automnale…
Une dernière ascension et nous repassons la crête pour découvrir un alpage des plus typique, ne manquent que l’orchestre en culottes de cuir et les bocs de bière. Une sensation étrange nous submerge alors: la plongée côté italien sera la dernière de notre séjour dans ces montagnes magnifiques et sauvages. Mais le temps presse et nous devons descendre rapidement sur Ugovizza puis Tarvisio si nous voulons être à temps à Grado dans le golfe de Trieste pour le repas pantagruélique de fruits de mer qui nous attend.
La station de Tarvisio à peine quittée notre périple italo-autrichien entre immédiatement dans le vif: le sentier 510 partant de Coccau est un must pour marcheur aguerri mais pas vraiment pour biker entraîné.
Les hectomètres se suivent et empirent. Pourtant la courbe extraite de notre logiciel de traitement cartographique aurait dû nous mettre la puce à l'oreille…
…puisque elle ne descend pas en dessous de 15%, avec quelques pointes à 50%. Et comme en plus la caillasse et l'érosion amplifient considérablement l'effort nous consommons une bonne partie de nos réserves énergétiques sur cette Traversée des Alpes carniques, selon la signalétique.
L'effort est énorme mais les points de vues et panoramas plus encore. Nous sommes littéralement époustouflés par ces reliefs si escarpés et vraiment différents de nos Alpes.
Quelques trop courts répits nous permettent de remonter en selle. La pompe tourne à plein régime, le turbo est enclenché depuis longtemps mais les réserves de carburant diminuent de façon alarmante. Va falloir lever le pied d'ici peu.
Heureusement la végétation plus résineuse laisse augurer une diminution de la pente à l'approche de la crête sommitale.
Soudain les premières beuzes nous obligent à zigzaguer sur un chemin encore très chaotique au sortir de la forêt.
Après deux heures de gros efforts c'est avec plaisir que l'herbe rase de l'Alpe Göriacher (si, si cela est prononçable avec nos bouches asséchées par la montée) et les quelques bornes frontières nous permettent enfin de souffler.
Le dos à Serge nécessite quelques mouvements d'assouplissement pour diminuer une douleur persistante. Mais le panorama sur l'Autriche et la Slovénie permet d'oublier bien des efforts et des déboires.
Toute la vallée de Villach en Autriche est à nos pieds. Le panorama est superbe mais le soleil voilé et la brume lointaine limitent la vision et trompent l'APN.
La frontière passe au milieu du pâturage et de la gouille, l'Autriche à gauche et l'Italie à droite. A l'arrière-plan la région de Kranska Gora en Slovénie (la frontière est à 8 kilomètres) nous temps les mains, avec ses montagnes où ours et loups sont encore communs. Ce sera peut-être pour une autre année, à condition de trouver des cartes assez précises pour y dénicher les singles praticables.
Ne manquent que la youtze, l'autrichienne à la robe-bustier bien garnie et les grands bocks de bière pour nous détourner du droit chemin. Mais le chemin est encore long et notre horaire assez rigide nous incite à poursuivre.
Au loin l'Oisternig se profile et nous attire comme un aimant. Nous savons que nous repasserons la frontière vers l'Italie juste avant, mais les conditions d'approche reste un peu mystérieuses. Les chemins autrichiens seront-ils à la hauteur de leur réputation?
Heureusement que l'histoire guerrière et l'amour des Autrichiens pour la chasse s'unissent en notre faveur. Ces routes construites au temps du premier conflit mondial pour approvisionner les garnisons sur la frontière sont une aubaine sur une bonne partie de l'arc alpin. Et comme de nombreux miradors de chasseurs parsèment la région l'entretien des chemins forestier est parfait, avec un revêtement fin, bien tassé et parfaitement roulant. Un pur bonheur pour nous autres vététistes, même si de gros panneau interdisant la circulation à vélo sont placés par endroits.
Des chemins parfaits mais sans marquage et une carte peu précise côté autrichien nous font hésiter plusieurs fois. Avec pour corollaire une accélération finale à l'approche du refuge Acomizza.
Derniers hectomètres sur versant germanique avant la bascule sur le flanc latin ou quand deux mondes se rencontrent dans l'effort et la sueur.
Le signe bien visible interdisant aux vélos d'emprunter le chemin. Mais comme nous considérons nos VTT comme des engins autrement plus noble qu'un vélo normal nous nous sentons aucunement concernés!
Le refuge Acomizza (Schönwipfel Schutzhaus en germain) nous tend les bras, la bière Gösspen locale y est même servie en demi-litres. Qu'il ferait bon se prélasser en terrasse en éclusant un bock et en gouttant aux délices séchés et fumés locaux. Mais il nous faut redescendre rapidement sur Tarvisio si nous voulons retrouver nos familles au bord de l'Adriatique dans quelques heures. Le plateau de fruits de mer qui nous y attend est un puissant motivateur.
Passage de frontière sans signe ostentatoire, nous sommes bien sûr dans l'espace Schengen.
Le Mont Acomizza domine l'alpage du même nom et les premiers bovins que nous rencontrons depuis des jours.
Derniers contrôles et petite laine de rigueur avant les 1000 mètres de descente qui nous attendent. Au loin à gauche le Monte Santo di Lussari nous tend les bras et nous savons que la descente depuis ce pèlerinage sur Tarvisio doit être grandiose, mais ce sera une occasion de plus pour revenir dans le coin.
Un chemin bien cassé, un soleil qui revient rapidement et la perspective d'une grosse descente font monter l'adrénaline malgré la fatigue accumulée les derniers jours. C'est à donf que nous dévalons le versant italien.
Très encaissée la Valle Ugovizza réserve quelques surprises qu'il vaut mieux contempler arrêté, tant les falaises sont dangereusement proches.
Et voilà, la fin de notre belle aventure frioulane arrive à sa fin avec la perspective de retrouver la vie trépidante à Ugovizza traversée par l'autoroute menant en Autriche et ses nombreux poids lourds venus de l'est.