Après l’annulation du Tour du Grand Combin pour cause de mauvais temps, la météo capricieuse de cet été 2002 nous a enfin permis d’accomplir un vieux rêve : faire le Tour du Mont Blanc (TMB) à VTT, dans le sens anti-horaire.
Au départ nous étions quatre participants inscrits, et au final seulement deux : Serge et Daniel. Nous connaissant très bien pour avoir beaucoup roulé ensemble (notamment en Ethiopie lors d’AbyssiRaid 98), nous décidons de partir à deux en profitant d’une des rares fenêtres météo favorables de cette période estivale qu’il faudra vite oublier.
Etape 1 : Martigny – Chamonix
Jeudi 29 août, 10:00, nous enfourchons nos montures au Centre du Parc à Martigny, lestés d’un sac à dos contenant le minimum vital pour 4 jours, mais pesant quand même 7 kg. Les choses sérieuses commencent immédiatement avec la longue montée sur la route asphaltée menant au pont de Gueuroz, à l’entrée de la vallée du Trient. Heureusement le temps est encore frais et les sommets couverts des nuages générés par les pluies de la veille. Nous attaquons les pentes raides de la rive droite, en face de Salvan et des Marécottes, jusqu’à la Crêta et sa terrible rampe finale. Plusieurs passages délicats ou difficiles nous obligent à pousser et porter, dans une forêt humide et ombragée, avant de traverser le pâturage de Planajeur rendu marécageux par le beau temps du mois d’août. Passage express au hameau du Litro et arrivée vers midi à Trient. Comme nous n’avons pas pris de sandwichs pour nous alléger au maximum nous nous attablons devant une délicieuse assiette de spaghettis sauce tomate. Ah les sucres lents, on en aura bien besoin plus tard… Le soleil devenant généreux nous repartons, sans avoir pris le temps de bien digérer, jusqu’à Tête Noire. Puis c’est l’attaque de la montée au col des Posettes, en passant par les Jeurs, Griba et le lac de retenue des Esserts. De l’asphalte nous passons à un chemin pierreux et sableux entrecoupé de grosses rigoles d’évacuation, cassantes et dangereuses. Quelques virages et une barrière frontière plus loin nous suivons une piste de ski de plus en plus raide, avant de sortir de la forêt vers 1900m et de trouver le chemin barré par un écriteau interdisant le passage pour cause de minage ! On essaye de contourner l’obstacle mais tombons sur un cul-de-sac. En désespoir de cause nous forçons le passage (nous sommes en France !) et remontons une piste défoncée par les machines de chantier creusant et posant des tuyaux pour une ligne à haute tension et une conduite forcée. Des mineurs sont bien en train d’amorcer des charges explosives à notre passage ! Après bien des efforts on atteint le col des Posettes à 2000m. L’Aiguille Verte et le Mont Blanc apparaissent par moment dans les nuages de cette fin d’après-midi. Le panorama est grandiose et justifie pleinement l’effort du jour.
Le single descendant sur le Tour qu’avaient emprunté Steph et JP l’année dernière, en plus d’être interdit au VTT, est couvert de marcheurs paraissant peu enclins à tolérer le passage de bikers dans notre genre. La descente se fera donc par le chemin très secouant (cassé par les machines de chantiers vues auparavant) sous le télécabine, jusqu’au Tour. Petit virage à gauche et déjà nous remontons sur le Petit balcon Nord de Chamonix, un superbe single permettant de rejoindre la station en passant sous le glacier d’Argentière et le Montenvers. On approche du but, à tel point que je me déconcentre trop et chute deux fois violemment en superbes OTB. Du sang et des hématomes, mais sans gravité. Un dernier effort et nous arrivons au « Chamoniard Volant », un gîte sympa et tranquille à la douche plus que bienvenue.
Un litre de panachée et un gueuleton mexicain arrosé plus tard nous pouvons enfin trouver un sommeil bien mérité !
Etape 2 : Chamonix – Les Chapieux
Ce matin, avant le petit-déj, nous contrôlons nos montures : méchante surprise pour Serge qui avait rayonné sa roue arrière il y a quelques jours, tous les rayons sont totalement détendus ! Il va falloir trouver un atelier équipé et recentrer parfaitement tout cela. Mais le temps presse, l’étape du jour est longue et dénivelée, et le shop du coin n’ouvre qu’à 9:00 ! La patience, les bons outils et notre sens pratique aidant nous recentrons et retendons cette maudite roue nous-mêmes, un véritable travail d’artiste sans rien démonter du vélo, les doigts gourds dans l’air frais du petit matin avec vue imprenable sur le Toit de l’Europe !
Comme nous sommes en retard sur l’horaire prévu on file rapidement jusqu’aux Houches et l’on se permet une petite entorse (la seule du tour) à notre philosophie : on emprunte le téléphérique de Bellevue qui nous permet d’éviter la montée jusqu’au col de Voza, soit 660m de durs chemins pas très intéressants sous un télésiège. Du col nous attaquons une descente d’enfer (-20 à –30%) sur Bionnassay au pied du glacier du même nom. Impressionnant ! Un passage de torrent et quelques singles plus loin nous nous retrouvons au fond de la vallée des Contamines-Monjoie, prêts pour entamer la très longue montée vers la Haute Tarentaise. Partis de 1000m nous devrons atteindre au final le Col de la Croix du Bonhomme et ses 2440m. Nous traversons des lieux superbes aux noms magiques : Nivorin, le Lay, Notre-Dame-de-la-Gorge, le Nant-Borrant, la Balme. C’est une succession de parties roulables et de tronçons où nous poussons en serrant les dents. Peu à peu la pente s’accentue à l’approche du col du Bonhomme (2330m) et il faut porter en terrain difficile et glissant. Les marcheurs que nous rencontrons (beaucoup d’Anglais et d’Américains faisant le TMB) n’en croient pas leurs yeux en nous voyant : qui sont ces fous avec leurs bikes perdus dans des lieux aussi difficile d’accès ? Nous sommes souvent pris en photos, et toujours respectés. Au premier col nous levons un moment le pied et discutons avec un couple de Ricains des Mt. Apalache qui en sont à leur 2ème TMB.
Le tronçon entre le Col du Bonhomme et le Col de la Croix du Bonhomme est pénible, la fatigue se fait sentir, le marquage est lacunaire et le terrain caillouteux et dangereux. Mais la vue impressionnante sur les sommets du Beaufortain et la flore très riche, alliées aux odeurs si caractéristiques de la haute montagne, nous laissent dans un état second proche du bonheur absolu. C’est tout simplement génial ! Le retour à la réalité ne se fait pas attendre : un épais brouillard se lève sur le col de la Croix et nous nous dépêchons de faire des photos avant de trouver difficilement le refuge situé 100m en dessous. Une fois rassurés sur le chemin à prendre nous plongeons sur la vallée des Chapieux au-dessus de Bourg-Saint-Maurice. D’abord sur un single très raide et difficile, puis dans des pâturages gras et roulants, puis sur un petit chemin en zigzags se terminant à l’Auberge de la Nova, but de l’étape de ce jour.
Après un coup de jet à nos montures et une bonne panachée (un remède très efficace en fin d’étape) nous aménageons dans une superbe chambre aux lits confortables qui nous change des dortoirs habituels. De plus la pension d’Anne-Marie, l’accueillante et célèbre patronne des lieux, est excellente. On y mangera un coq au vin de derrière les fagots, agrémenté d’un petit vin de Savoie aigrelet à souhait. Un couple de parigots partagent notre table et sont fiers de leurs exploits vététesques de vacanciers : descente tous les matins d’Arc 2000 à Arc 1600 pour chercher le pain et les croissants, puis remontées mécaniques jusqu’au départ !!!
La soirée s’achève tôt, dehors il pleut mais la météo du lendemain est relativement optimiste.
Etape 3 : Les Chapieux – Refuge Elena
Effectivement ce matin le ciel est tout bleu et nous nous dépêchons de finir le petit-déj et de sauter sur nos montures. Un tronçon de route goudronnée vers le fond de la vallée et déjà nous attaquons les premières pentes vers le col de la Seigne qui marque la frontière entre la France et le Val Veni italien. Passage à Seloge et à la Ville des Glaciers, puis au chalet des Mottets d’où nous devrions voir l’arrière du Mont Blanc. Malheureusement les nuages sont très vite là et bouchent la vue sur le géant des Alpes.
La montée au col de la Seigne (2516m) est longue et pénible, les portions roulantes très rares et la sueur abondante ! Après un dernier effort on atteint le col mythique connu depuis l’antiquité et situé sur la ligne de partage des eaux entre la Méditerranée et l’Adriatique. Brouillard, vent, moutons, photos, Balisto et habits chauds sont au rendez-vous. La descente de tout le Val Veni va mobiliser notre concentration, car la fatigue accumulée commence à se faire sérieusement sentir. Le départ est partiellement roulable, mais les fortes précipitations d’août ont endommagé les sentiers (c’est vrai pour l’ensemble de ce Tour du Mont Blanc) et il faut souvent mettre pied à terre. Après quelques centaines de mètres nous croisons le premier biker sur notre TMB : un gars qui nous salue à peine et qui pousse péniblement un vélo loué dans une gare suisse et pesant au moins 15kg. Impressionnant ! Plus bas nous croisons aussi les premiers vététistes italiens qui montent au col pour la journée. La descente est rude et difficile sur un chemin très empierré jusqu’au refuge Elisabetta. Ensuite les conditions s’améliorent et nous pouvons rouler à fond sur la route du Val Veni. Comme les nuages nous cachent les prestigieux sommets du versant italien du massif du Mont Blanc (Mt Blanc de Courmayeur, Aiguille Rouge du Brouillard, Aiguille Noire de Peuterey, Mt Maudit,…) nous limitons le nombre d’arrêts photo. Les nombreux marcheurs dominicaux souvent imprévisibles nous obligent à une constante concentration. Nous voici revenu à la civilisation et nous n’en sommes pas particulièrement réjouis. L’ivresse de la montagne, le calme, la sérénité et la beauté des paysages d’altitude, malgré le manque de soleil, nous ont peut-être momentanément transformés. Nous regardons les voitures, les remontées mécaniques et même les gens croisés avec un certain détachement teinté d’incompréhension.
Mais l’arrivée à Courmayeur et le passage sous l’autoroute menant au tunnel sous le Mont Blanc ont vite fait de nous dégriser : les terribles odeurs de gaz d’échappement et de diesel sont un véritable choc émotionnel. Nous nous empressons donc de traverser Entrèves et son fort dénivelé pour nous plonger avec délice dans le Val Ferret italien. Cette vallée traversée de nombreux éboulis parmi lesquels serpente une superbe rivière à truites, la Doire, est absolument splendide. Les nombreux touristes dominicaux sont là pour le confirmer : les voitures viennent de Milan, Turin ou Varèse. Le soleil resplendit à nouveau, les couleurs sont vives et les prestigieux sommets se découvrent partiellement : Aiguille du Géant, Grandes Jorasses, Aiguille du Triolet,… Nous roulons sur l’asphalte en traversant Pra Sec et Lavachey (où nous aurions dû arriver avec le Tour du Grand Combin…). La route s’arrête à Arnuva. Fatigués nous faisons une pause avant d’attaquer la dure montée jusqu’à Pré-de-Bar. Nous retrouvons avec plaisir un chemin empierré raide et cassant, qui nous oblige à donner tout ce que nous avons encore dans les tripes. Mais la récompense est au bout de l’effort : nous atteignons le grand refuge Elena et son confort, ses douches chaudes, son bar bien garni et son excellente table. Le vent souffle fort depuis le côté suisse du col qui domine le refuge de 500m. En face le glacier de Pré le Bar déroule ses séracs au pied du Mont Dolent, point frontière entre la Suisse, la France et l’Italie. Le soir le brouillard descend jusqu’à nous et une pluie persistante se met à tomber. Sans nouvelles de la météo nous commençons à craindre pour le lendemain : notre tour est basé sur des conditions estivales, et nous ne sommes équipés ni pour passer un col dans la neige fraîche ni pour rouler une journée entière sous la pluie… Un dernier café arrosé d’une grappa tirant à 50 degrés et nous nous couchons à 9:30 !
Etape 4 : Refuge Elena – Martigny
Réveillés tôt ce dimanche matin nous mettons immédiatement le nez à la fenêtre pour constater que la pluie a cessée et que le brouillard fait le yo-yo à hauteur du refuge. La température a fortement chuté. Le copieux petit déjeuner vite avalé et les sacs bouclés, nous nous lançons tout de suite dans le poussage/portage derrière le bâtiment. La pente est très raide et les pluies récentes ont raviné le sentier qu’il faut grimper avec précaution. L’effort à froid est rude, le brouillard est par moment très dense et nous serrons les dents en nous disant que nous sommes presque au terme de notre périple. Par moment nous entrevoyons le refuge en dessous de nous et pouvons mesurer l’effort déjà accompli. La notion de temps nous échappe dans ce monde irréel et sans repaires. Il fait froid, pas plus de 6 degrés, et les poils de nos jambe sont couverts de minuscules gouttelettes d’eau. Une dernière crête et nous devinons dans le crachin le tumulus marquant le Grand col Ferret à 2537m d’altitude. Serge, qui est monté au col en baskets en souffrant de cloques au talon, rechausse ses Sidi, alors que je nettoie les semelles de mes chaussures pleines de boue d’ardoise qui bloque les pédales automatiques. La descente dans le brouillard du côté suisse va être rude. Quelques photos, une gorgée de Sponser et un Balisto plus tard, nous attaquons la longue descente qui doit nous mener à notre point de départ 3 jours auparavant. Le sentier a été élargi et nivelé, mais le mauvais temps de juillet/août a fortement creusé les nombreuses rigoles d’évacuation. Leur passage est toujours délicat et la boue glissante exige une concentration continue.
C’est avec soulagement que nous arrivons à l’alpage de la Peule en haut du Val Ferret. Des marcheurs qui ont dormi sur la paille s’ébrouent et se grattent en discutant avec nous ! Le chemin d’alpage est roulant et nous atteignons rapidement la route asphaltée après avoir évité de justesse une première voiture valaisanne ! Les nuages sont très bas et cachent tous les sommets. A la Fouly nous buvons une boissons chaude, alors que les autochtones en sont déjà au fendant. En repartant nous trouvons deux Allemands s’apprêtant à faire le TMB dans le sens contraire du notre. Selon eux la météo devrait être excellente dès le lendemain et pour une semaine. La suite leur réservera bien des surprises…
Nous avions initialement prévu de remonter à Champex afin de pimenter cette dernière étape relativement facile. Mais les nuages très sombres qui plafonnent à la hauteur de la station nous poussent à renoncer et c’est un peu déçus que nous continuons rapidement sur la route principale par Orsières (où nous retrouvons la circulation du Grand-Saint-Bernard et donnons un coup d’hypromat à nos montures), Sembrancher et Bovernier. Une dernière traversée de Martigny bien calme pour un dimanche à midi, et nous retrouvons notre véhicule envahi par les fourmis !
Au bilan un tour extraordinaire, des efforts considérables, beaucoup de portages, des montées très rudes, des descentes très engagées, des paysages à couper le souffle, des rencontres passionnantes, une fenêtre météo limite, 180km parcourus, 5900m de dénivelé positif, et surtout une immense amitié entre Serge et moi, même dans les moments les plus pénibles, et qui nous incite à repartir au plus vite sur un autre tour alpin.
Des photos suivront d’ici peu !!!