Vent froid, brouillard, pluie démoralisante, terrain spongieux, soleil promis et toujours remis, ce tout début de décembre semble correspondre point pour point à tout le mois de novembre : une triste période à oublier au plus vite. Un enfer pour tout vététiste normalement constitué. Oui mais voilà, certains me considèrent un tantinet comme atypique dans le monde des fous du tout terrain. Pour moi la saison importe peu, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Tiens donc, ce n’est pas dame nature qui va me retenir de faire ce dont j’ai envie en ce premier jour du dernier mois de 2002 (pré-Natal -> avant Noël, quoi !), que d’aucun considèrent comme une année particulièrement pourrie parmi les pourries…
Un bon petit-déj, un coup d’œil à la page météo du télétexte, une bonne soupe de légumes à midi et c’est parti pour la séance d’enfilage des trois couches réglementaires en ce premier jour de l’Avent. A l’heure où les pantouflards ont la sieste ronflante et les rôts satisfaits je me mets en selle pour attaquer mon tour hivernal favori : les superbes Rochers de Granges, dominant la ville du même nom (patrie des VTT BMC) de toute leur majesté. C’est un parcours peu exigeant en période estivale, mais ô combien pénible par ces temps de boue champêtre et de juteuses feuilles mortes. La pente est tout de suite soutenue, elle laisse peu de répit avant d’atteindre la frontière entre les cantons de Berne et Soleure. Deux métairies et de nombreux promeneurs frigorifiés plus loin me voilà dans le vif du sujet : des pâturages bien gras où les Michelin renâclent et peinent, alors que le moteur chauffe à 180 pulses/min. Le single de la borne frontière est hyper glissant, les racines traîtresses et la boue profonde se cache sous des branches et des feuilles. Il s’agit de soigner mon pilotage, du bout des doigts, tout en douceur. Une trace à peine marquée dans la forêt que je suis seul à emprunter, des chemins de halage de bois bien gras puis une petite route en calcaire et déjà c’est l’arrivée au Stierenberg, littéralement la montagne des taureaux. Pour l’instant on ne voit pas une queue de ruminant dans le brouillard ! Court arrêt boisson et déjà ça repart pour 2km d’asphalte. Beurk que c’est pas mon truc, mais la seule solution par ces temps pourris. Le dernier tronçon est à la mesure de mes espérances. Une trace de marcheurs dans un pâturage gorgé d’eau et saupoudré de neige gelée, pour atteindre une grande antenne qui domine toute la région entre Soleure et Bienne. Le brouillard est enfin au-dessous de moi, le soleil est généreux et la chaîne des Alpes paraît proche à l’horizon. Un panorama qui récompense largement de l’effort accompli.
La trace continue dans les pâturages, avec des passages sur galets polis et racines apparentes. Qu’est-ce que j’aime ça, il faut une concentration extrême pour passer sans mettre pied à terre, la Fatty travaille à fond après un service complet et les freins peinent sur les jantes couvertes de boue. Merci Shim pour ton XT qui déraille à la perfection.
Je retrouve la « civilisation » le temps d’une métairie et de son parking plein de citadins conquérants, avant de basculer de l’autre côté de la chaîne. Les Vosges au loin me tendent leurs sommets arrondis, il faut que j’y retourne au printemps prochain y marquer certains singles de mes crampons. L’air est très frais, pas plus de 3 degrés et le vent pique le visage. Je domine toute la haute vallée de Tavannes, traversant un immense pan de forêt qui a été dévasté par une terrible tempête il y a plus de 10 ans. Que la nature est vite détruite, mais qu’elle met du temps à se reconstruire. D’un coup je m’imagine en Galice, en compagnie de ces pêcheurs qui n’ont rien demandé et qui reçoivent en guise de cadeau de Noël une merde visqueuse et puante qui anéantit tous leurs espoirs d’avenir meilleur. Un gros bloc de rocher évité de justesse me tire brutalement de mon rêve et m’oblige à me concentrer sur le single verglacé qui plonge sur le plateau de la chaîne de Montoz. Trois métairies me tendent les bras, mais je résiste à l’appel de leurs menus alléchants et leurs cafés roboratifs réchauffants. D’ailleurs je suis tellement crotté que je doute que leurs tenanciers, qui en ont pourtant vu d’autres, me regardent d’un œil compréhensif…
Le jour baisse régulièrement sur Chasseral qui se profile à l’horizon (merveilleux souvenir d’une sortie entre copains), déjà 2 heures que je suis en route, que dis-je : en boue ! Le soleil qui jouait à cache-cache avec les nappes de brouillard disparaît, vaincu par la barre nuageuse tant annoncée qui glisse depuis l’ouest. Une plongée rapide sur le haut vallon de Péry et j’attaque les dernières grimpées qui me ramènent chez moi. Je pédale rageusement dans la boue et les profondes traces laissée par les travaux des bûcherons, là où hier je promenais mon chien au milieu des hordes de chasseurs traquant le sanglier. Mes souliers, mes pantalons jusqu’au genou et tout mon bike jusqu’à la selle jouissent d’une merveilleuse thalassothérapie : la boue jurassienne n’a peut-être pas les vertus thérapeutiques des algues bretonnes, mais elle me procure une joie merveilleuse, le bonheur absolu de me sentir libre de rouler où je veux, quand je veux et comme je veux. Je suis seul maître de mon chemin, aucun obstacle ne me paraît impossible, et je reviens de mon « enfer » brun.
Un dernier single en épingles dans les rochers dominant le village, une dernière descente à donf dans les champs mous comme des éponges et déjà je freine devant mon garage. Vite un coup de jet sur mon destrier, une bonne douche et me voilà assis devant ma cheminée, réchauffé par un bon thé parfumé à la cardamome et aux girofles, souvenir de notre dernier séjour en Éthiopie, et par un vieux Lagavulin de derrière les glens. Le bonheur absolu, le Graal du vététiste heureux d’être de retour des champs de boue et de neige des chaînes jurassienne.
Farenj