Une météo optimiste pour l’avant-dernière journée de l’été, un confortable paquet d’heures supplémentaires à consommer, un manque de grosses sorties à se mettre sous la dent : il n’en faut pas plus pour me décider à entreprendre un tour bien joufflu. Les collègues pressentis pour m’accompagner sur un Goppenstein-Loèche-Kandersteg valaisan étant retenus par leurs obligations professionnelles je décide de limiter les risques en roulant seul et me lance sur les crêtes jurassiennes à partir de mon village. Motivé comme jamais je vais explorer trois chaînes de la région au nord de Bienne: Plagne, Montoz et enfin Moron et sa célèbre tour signée Mario Botta.
La première chaîne de Plagne dont je connais chaque sentier quasi par coeur est rapidement avalée avant la plongée dans le vallon de Péry. Suit une montée sans grand intérêt sur un autre monument de la région, j’ai nommé avec respect Montoz, sa vue imprenable sur le plateau et les Alpes, ses nombreux obstacles anti-vététistes (voir le reportage suivant) et ses troupeaux prêts à redescendre en plaine pour la pause hivernale. La descente sur la vallée de Tavannes est rendue très technique par les pluies récentes qui ont creusé et modelé les singles, m’obligeant à piloter en douceur avec une concentration extrême. On est à l’ombre à l’envers de la vallée, l’humidité est forte et les plaques de calcaires affleurantes terriblement glissantes.
Passé Reconvilier et sa fameuse usine Boillat connu dans toute la Suisse pour la grève très dure de son personnel, il va falloir réduire l’allure pour attaquer la seconde difficulté du jour et non des moindres: la chaîne de Moron dominée par la tour d’observation imaginée par Botta himself. Suivra un passage par Champoz et son Lac Vert, avant une très dure remontée sur Montoz puis à nouveau sur la chaîne de Plagne.
Au total une magnifique sortie au cœur du Jura qui démontre une fois de plus qu’il est possible de (re)découvrir une région aux charmes certains et aux exigences physiques indéniables: plus de 2000 mètres positifs dans la journée nécessitent l’absorption de boissons régénératrices avant d’attaquer les roboratives et régionales dans la soirée. En effet absinthes et autres gentianes ne sont pas réputées combattre l’acide lactique en surdose dans les muscles fourbus.
Les hauts de Plagne sont encore couverts de rosée, mais il est vrai qu'il est tôt. Mais c'est aussi le moment où les sens sont les plus titillés: la vue par les couleurs éclatantes, l'odorat par les fortes effluves post-estivales et l'ouïe par le calme et la sérénité des lieux.
Première réelle montée du jour à partir de la Montagne de Büren du Bas pour atteindre celle du Haut. Pas grand intérêt puisque l'asphalte y est reine.
L'arrivée sur la crête permet enfin de souffler avant les chemins blancs et leur traître calcaire. Les premiers obstacles (clédars, barrières, chicanes,…) placés pour limiter le déplacement des troupeaux (et accessoirement en…quiquiner le vététiste lambda, voir à ce sujet le prochain article sur Alpavista) vont ajouter aux difficultés topographiques. Mais cela participe du crapahutage dans le Jura!
La tour de Moron semble bien proche mais une vingtaine de kilomètres d'efforts nous séparent encore, sous un soleil de plus en plus chaud.
L'un des points les plus pittoresques de la chaîne de Montoz est sont point culminant à la Rochette, avec au loin le roi Chasseral dominant toute la région.
Peu avant la Brotheiteri (eh eh les Valaisans du Haut n'ont pas l'exclusivité des noms peu prononçables, nous avons aussi nos perles) je décide de plonger directement sur la vallée de Tavannes à travers pâturages et forêts.
L'amorce de la plongée sur la Golatte et son vallon est bien grasse, avec des résurgences et des empreintes de sabots bovins profondes et traîtresses.
En face la chaîne de Moron et ses 1340m dominent Reconvilier. Les réjouissances vont véritablement commencer.
Après un passage rapide à la Montagne de Saules le chemin bascule sur le versant nord dominant Sornetan. Le panorama est grandiose, avec en enfilade les cluses du Pichoux et d'Undervelier, puis au loin Boécourt et le massif des Rangiers avant la plaine d'Ajoie.
Un dernier effort avant le point culminant du jour marqué par la tour de Moron. Bien que l'automne soit à la porte la nature est restée étonnement estivale, l'herbe est grasse et les arbres commencent seulement de jaunir.
La célèbre tour de Moron dessinée par Mario Botta et construite par 700 apprentis maçons venus de toute la Suisse domine la région de ses 30m de masse calcaire spiroïdale. Le panorama de la terrasse sommitale est absolument grandiose, allant du Chasseral à l'ouest au massif de la Forêt Noire à l'est, en passant par les Franches-Montagnes, le pays de Montbéliard, la chaîne du Mont-Terri et les Vosges.
Quand techniques ancestrales de taillage et modernes de collage se conjuguent le résultat donne un monument très original visité toute l'année, sorte de symbole de la région et pour nous, vététistes, but de belles sorties exigeantes.
Moron conquis, s'ensuit une descente endiablée, d'abord dans les pâturages de la Neuve Bergerie, puis sur un single caillouteux à souhait dominant Champoz. La courte remontée sur le Mont Girod est rapidement avalée, même si la croûte au fromage vite avalée à mi-côte génère une baisse de régime, avant cette descente bucolique sur le Lac Vert.
Le Lac Vert, secret et bien protégé dans son écran de verdure, semble résulter de l'exploitation d'une carrière à une époque lointaine. L'endroit est superbe et point de départ d'un autre single terriblement gratifiant avec obstacles en tout genre et même escalier métallique accroché à la roche, avant l'arrivée à Court.
Petite transition au fond de la vallée à Court, puis déjà je m'élève rapidement sur le flanc nord pour une remontée qui s'annonce asphaltée autant que pénible sur la crête de Montoz: ma phase digestive bat son plein et mon dos de chameau montre des signes d'épuisement.
A mi-côte la pente s'accentue encore, annonçant une zone de forêt partiellement détruite en 1986 lors d'un pré-Lothar.
Peu avant d'atteindre la crête l'effort est momentanément réduit sur une bonne charrière vers la Métairie de Court. Du coup les pulsations reprennent un rythme supportable et l'acide lactique voit son flux diminuer, il était temps.
Dernier regard vers le haut de la Vallée de Tavannes avec autosatisfaction du devoir, que dis-je, du plaisir accompli. Mais qu'il faut souffrir pour autant de bonheur et aussi peu de perte de poids…
La Bergerie de Court vient d'être passée, il me reste à redescendre sur le vallon de Péry et à remonter sur Plagne, un chemin cent fois parcouru, connu sur le bout des crampons, mais qui procure toujours autant de plaisirs. Car le VTT c'est aussi rechercher la trace parfaite, l'angle d'attaque le meilleur et la sortie de virage la plus précise sur un chemin que l'on apprécie.