Alors que d’aucuns et pas des moindres tombent dans les mailles très larges du filet anti-dopage et participent ainsi au gigantesque raout médiatique des grands tours bitumeux de la saison il semble que certaines classiques plus terreuses font encore majoritairement appel à l’endurance pure et à la volonté farouche plutôt qu’à la piquouze et au transfert de carburant liquide. J’en veux pour preuve l’extraordinaire enthousiasme des participants et des spectateurs à la plus mythique de toutes: le Grand Raid Cristalp (GRC).
Disputée dans des conditions optimales l’édition de cette année a malheureusement été ternie par un événement imprévisible et dramatique mais qui n’entache en rien l’attrait du GRC auprès de tout vététiste qui se respecte. On peut paraître indifférent à cette compétition géante mais force est de constater que le soir du GRC tout vététiste qui se respecte tente par tous les moyens (TJ, radio, toile,…) de connaître les péripéties de LA course du jour.
Alors que dopage, affaires louches et gros sous semblent ravir le spectateur lambda sur les grands tours routeux, l’enthousiasme originel et le respect de l’effort dans une nature relativement bien protégée caractérise toujours les nombreux enthousiastes qui s’accumulent le long du parcours valaisan. Il suffit d’observer la foule encourageant les forçats de la caillasse au Pas de Lona pour se convaincre que l’effort en tout terrain est reconnu parce qu’encore majoritairement « propre »: sueur, grimaces, pleurs, cris de si nombreux coureurs anonymes ayant dû s’entraîner durement tout au long de la saison insufflent une sacrée dose de respect et d’admiration aux multiples spectateurs agglutinés au col. Si bien qu’inconsciemment, dans ce magnifique terrain de jeu que sont les Alpes, l’envie folle de s’éclater à fond à VTT prend certains aux tripes. Une sorte d’osmose semble se produire entre ceux qui souffrent et ceux qui les encouragent, les seconds sentant soudain des fourmillements dans les jambes, leur regard devenant toujours plus brillant au fur et à mesure du passage de coureurs de plus en plus semblables à eux au fil du temps, des monsieur-tout-le-monde ou des madame-tout-le-monde qui ont osé le faire.
C’est exactement ce phénomène qui m’a gagné samedi passé au col mythique surplombant la Vieille. Cette année j’avais décidé d’être un spectateurs un peu particulier de la classique alpine, voulant à la fois encourager les participants et m’éclater en solitaire dans une région sauvage qui me prend aux tripes chaque fois que je la parcoure. Une sorte de pèlerinage ou de retraite personnel en quelque sorte. C’est donc très motivé que je me mets en selle à Grimentz le jour précédent le GRC, pour grimper à la cabane des Becs de Bosson en passant par Bendolla et Lona. Une dure montée nécessitant un long portage, par un temps frais et couvert, avec des bouquetins et des marmottes proches, ainsi qu’une flore très abondante. L’arrivée au Pas de Lona est un peu surréaliste car comment imaginer la foule du lendemain dans ce lieu déserté où souffle un vent froid n’incitant pas à l’arrêt. La soirée en cabane à 3000 mètres ramènera à la surface de vieux souvenirs d’enfance que je croyais perdus à jamais: jusqu’à l’ambiance et l’odeur particulière des dortoirs d’altitude qui me rappellera nos vacances familiales en montagne. La convivialité et la simplicité de tels lieux mériteraient d’être mieux connus des éternels insatisfaits et des blasés pullulant dans le monde urbain.
La matinée de samedi débute par un superbe lever de soleil, un solide petit-déjeuner et une descente à pied au Pas de Lona. La foule des supporters et des accompagnants arrive peu à peu et va dispenser bruyamment ses encouragements aux concurrents. Après trois heures d’immersion dans le monde du GRC je ressens alors une furieuse envie de m’éclater à mon tour, de participer à ma façon à cette journée mythique du VTT alpin. Alors que hier seul le dénivelé positif était de la partie aujourd’hui je vais me goinfrer de négatif. Parti de la cabane des Becs de Bosson je rejoins Sierre par le col de Tsavolire, le Louché, la Rèche, l’Ar du Tsan, Sigeroula, Vercorin puis le single de Briey à Chippis. -2750m de pur bonheur, une jouissance de tous les sens avec des paysages extraordinaires, un silence quasi absolu et de puissantes odeurs d’humus qui indiquent sans rémission que l’automne a déjà débuté, là-haut au paradis du VTT.
De Sierre je remonte rapidement en funiculaire puis en télécabine jusqu’à Cry d’Er au-dessus de Montana avant de déguster le dessert de la journée: à nouveau -2000m de plongée par des chemins de descente, des singles bien cachés et une finale toute en difficultés techniques et en coins sauvages entre Montana-Village et Muraz. Enfin calmé et attablé devant une boisson roborative bien méritée je fais le bilan de ces deux jours: une grande dose de bonheur, un peu de transpiration, de l’air pur à profusion et une indigestion visuelle à un point tel que le milieu urbain me semble totalement étranger et très artificiel. Rouler, crapahuter, sinuer sur les nombreux singles de nos montagnes me semble le meilleur remède possible contre la déprime que les affaires du monde du cyclisme peuvent engendrer chez l’homo vetetus moyen. Eclatez-vous dans la nature en la respectant et vous connaîtrez aisément le nirvana que je viens d’expérimenter. Seuls regrets: (1) rouler seul permet difficilement de se mettre photographiquement en scène, d’où les rares images rapportées et (2) avoir oublié ma flasque de single malt qui aurait avantageusement fait disparaître mes courbatures le premier soir.